Physique du Solide : Les matériaux topologiques et de Dirac

Cet axe se concentre essentiellement sur l’étude des matériaux topologiques et de Dirac. Ces matériaux sont particulièrement bien représentés, avec bien sûr le graphène, mais aussi les isolants topologiques 2D et 3D, les semi-métaux de Dirac ou de Weyl, ainsi que certains dichalcogénures de métaux de transitions. Ces matériaux novateurs représentent l’élément fondateur des perspectives scientifiques de TEST en physique du solide. Ces perspectives sont articulées ci-dessous en cinq thèmes correspondants à l’étude de différents phénomènes physiques et excitations élémentaires : 

  1. Nouvelles phases topologiques
  2. Effet Hall Quantique de spin dans les semi-conducteurs III-V
  3. Plasmons et magnétoplasmons de Dirac
  4. Polaritons de Landau et émission cyclotron
  5. Photoconductivité dépendante du spin dans les matériaux 2D

1) Nouvelles phases topologiques

Cette activité combinant études théoriques et expérimentales est dédiée à l’analyse des propriétés exotiques des fermions semi-relativistes (Kane, Dirac, Weyl) que l’on peut observer dans des matériaux à structure de bandes spécifiques (HgTe/HgCdTe, InAs/GaSb, NbAs, TaAs, Cd₃As₂). Ainsi, en sondant les transitions optiques entre niveaux de Landau par le biais de techniques de magnétospectroscopies dans le domaine MIR/Térahertz, nous avons mis en évidence l’existence de gaps non-triviaux et de transitions de phases topologiques dans des structures à base de HgTe/HgCdTe et hétérostructures d’InAs/GaSb [Nature communications 7, 12576 (2016) ; Physical Review B 97, 245419 (2018)].

La validation expérimentale des modèles développés pour ces structures, en particulier dans le cas des structures InAs/GaSb, ont permis d’affiner les paramètres de modélisation. C’est ainsi que nous avons pu concevoir de nouvelles structures (puits quantiques tri-couches, réalisés par l’IES), présentant une bonne stabilité en température, jusqu’à 100K, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour l’étude de l’effet Hall quantique de spin (cf. paragraphe suivant). Par ailleurs, cette maîtrise du matériaux III-V et de ses propriétés topologiques ouvre la voie vers la recherche de nouveaux états topologiques exotiques de la matière. Elle a notamment conduit à la découverte d’un nouveau type de phases topologiques, les isolants topologiques d’ordre supérieur (HOTI) [S. Kristopenko, et al. unpublished (2024)].

Les HOTI 3D ont une bande d’énergie interdite dans leur cœur et sur toutes leurs surfaces, mais ils possèdent des modes unidimensionnels (1D) sans gap le long de leurs « charnières », là où deux surfaces se rencontrent. Dans les HOTI 2D, où le cœur et les bords ont un gap mais les coins n’en n’ont pas, les travaux pionniers réalisés sur quelques matériaux suggèrent la présence d’états de coin à dimension zéro (0D) préservés dans les bords isolants. Un état HOTI 2D a récemment été prédit dans les puits quantiques tri-couches (TQWs) InAs/GaInSb par notre équipe. Certaines des propriétés spécifiques de ces HOTIs pourraient être testées en utilisant des géométries de barres de Hall, comme pour l’état QSH.

De plus, l’analyse théorique effectuée avec les TQWs peut être étendue aux super-réseaux III-V. Dans ce cas, on peut s’attendre à une zoologie de diverses phases topologiques complexes en trois dimensions. Les calculs de structures de bandes au sein de TEST confirment que les super-réseaux (SL) basés sur InAs/GaInSb peuvent héberger des semi-métaux de Dirac 3D (DSM), des semi-métaux de Weyl 3D ou des TI 3D, en fonction des paramètres du super-réseau. On peut même s’attendre à l’existence d’états topologiques d’ordre supérieur dans ces SLs pour les mêmes raisons que celles qui ont conduit aux états HOTI dans les TQWs.

2) Effet Hall quantique de spin dans les semi-conducteurs III-V

La notion de topologie (prix Nobel 2016) dans des systèmes physiques bouleverse maintenant notre conception de ce qu’est un conducteur ou isolant électrique. Après la découverte de l’effet Hall quantique puis du graphène, les « isolants topologiques » suscitent un engouement scientifique au-delà même de la physique de la matière condensée. En particulier, un état topologique prometteur en informatique quantique, l’état « Hall quantique de spin » (QSH), a été vu dans les puits HgTe et InAs/GaSb, et plus récemment dans WTe2. Alors que cet état n’existe qu’à basse température dans les puits HgTe (quelques Kelvins) et n’a été vu qu’à très basse température dans des puits InAs/GaSb (sous le Kelvin), il a été observé jusqu’à 100 K dans WTe2 . Il s’agissait cependant de dispositifs de taille nanométrique dont la fabrication est une véritable prouesse technologique. Une compétition internationale est donc en cours pour l’observation de l’état QSH dans des matériaux plus adaptés à l’industrie microélectronique, comme les structures InAs/GaSb, à des températures moins drastiques.

Le L2C a été le premier à proposer des assemblages de puits quantiques III-V topologiques de type « puit quantique tricouche » (TQW) à base d’InAs/GaInSb/InAs. Celui-ci peut avoir une bande interdite topologique de plusieurs dizaines de meV, calculée par ingénierie de bande. La structure de bande inversée des TQW a depuis été démontrée par TEST [PRR. 4, L042042 (2022)], la large bande interdite (jusqu’à 45 meV) et son insensibilité à la température ont été confirmées. Ce large gap topologique permet d’envisager des applications à la température de l’azote liquide (77 K) ou au-delà. L’un des objectifs de cette thématique est donc dedémontrer la quantification de la conductance dans les TQWs, et ce à la plus haute température possible, étant donné que le plus grand gap d’énergie attendu dépasse la température ambiante.

Au-delà de l’observation de la quantification due aux états QSH, il est établi que cette quantification est perdue dans des dispositifs de tailles supérieures à quelques dizaines de micromètres. Cela définit un deuxième objectif réaliste et ambitieux de cette thématique : définir le mécanisme à l’œuvre dans cette perte de quantification.

3) Plasmons et magnétoplasmons de Dirac

Les plasmons et magnétoplasmons induisent des variations significatives de la conductivité photo-induite, mesurables dans des dispositifs à base de transistors à effet de champ. Cette thématique constitue l’activité de recherche historique de l’équipe, axée sur l’étude des ondes de plasma dans les gaz bidimensionnels d’électrons. La théorie de Dyakonov-Shur prévoyait que ces ondes de densité de charge, décrites sous un angle purement hydrodynamique, pouvaient résonner aux fréquences THz et devenir instables dans le canal 2D d’un FET. Cependant, avant l’émergence du graphène, ces ondes de plasma n’avaient été observées que dans de rares cas, à basse température, dans des matériaux à très haute mobilité de porteurs [S. Boubanga-Tombet, et al., Appl. Phys. Lett. 92, 212101 (2008)].

Récemment, grâce à la grande mobilité électronique et à la forte énergie des phonons optiques du graphène, ce matériau a montré un potentiel considérable pour l’étude de ces phénomènes. Les ondes de plasma résonantes ont été observées jusqu’à température ambiante, et leur couplage avec la résonance cyclotron a permis la création de magnétoplasmons de Dirac. Cette partie des recherches de l’équipe se concentre donc sur l’étude de ces plasmons et magnétoplasmons de Dirac par photoconductivité THz en fonction de divers paramètres physiques. Une des questions ouvertes reste le développement des bases de la magnétohydrodynamique dans les solides, en appliquant des champs électriques et magnétiques croisés au système hydrodynamique. De plus, ces avancées devraient conduire à la conception de nouveaux capteurs optoélectroniques ultrasensibles.

4) Polaritons de Landau et émission cyclotron

L’utilisation de la résonance cyclotron dans les semi-conducteurs est une voie très prometteuse pour réaliser un laser THz, ajustable par un champ magnétique ou par une tension de grille. L’émission cyclotron se produit lorsque des électrons hors équilibre, soumis à un champ magnétique externe, se recombinent de manière radiative entre deux niveaux de Landau. Cependant, dans les systèmes avec une dispersion parabolique des bandes, la recombinaison non-radiative due à la diffusion Auger entre électrons l’emporte toujours sur l’amplification. En revanche, lorsque ces électrons ont une relation de dispersion non parabolique, comme dans les matériaux de Dirac, les niveaux de Landau ne sont plus équidistants en énergie, ce qui réduit considérablement la diffusion Auger et donc les pertes par absorption [S. Gebert et al., Nat. Photon. 17, 244–249 (2023).]. L’un des objectifs est donc d’analyser cette émission dans différents matériaux de Dirac possédant des structures de bandes exotiques, tels que les isolants topologiques et les semi-métaux de Weyl.

En parallèle, une des questions à la pointe du domaine est de savoir qu’elle est l’influence d’un fort couplage lumière-matière sur cette émission cyclotron. Dans ce cas, ce couplage est suffisamment intense pour donner naissance à de nouveaux modes d’excitation hybrides, appelés polaritons de Landau. L’électroluminescence de ces pseudo-particules hybrides, récemment observée dans l’équipe, est actuellement à l’étude.

5) Photoconductivité dépendante du spin dans des capteurs THz à base de matériaux 2D

La résonance paramagnétique électronique (EPR), également appelée résonance électronique de spin (ESR), est une méthode de spectroscopie où une onde électromagnétique sonde des échantillons paramagnétiques. Dans les solides, elle permet également de sonder les électrons de conduction, ainsi que les défauts ponctuels. Les dispositifs commerciaux actuels utilisent des ondes électromagnétiques typiquement dans la bande X (8-12 GHz) et des champs magnétiques inférieurs au tesla. À des fréquences plus élevées, la technique de photoconductivité GHz et THz développée au sein de l’équipe permet d’étudier les résonances de spins électroniques, qui influencent la conductivité via des effets de recombinaison dépendant du spin.

Le graphène, considéré comme un isolant topologique, présente un gap de Kane-Mele d’environ 45 µeV, récemment mesuré dans l’équipe grâce à cette technique ESR en fonction de la température [Bray, et al. Phys. Rev. B 106, 245141 (2022)]. Ce gap, ainsi que les splittings à champ nul, peuvent être modifiés par effet de proximité avec d’autres matériaux 2D (via un champ électrique, le couplage spin-orbite, ou les effets de Moiré). Par ailleurs, la dimensionnalité du système peut également affecter le temps de relaxation de spin, qui peut théoriquement être très long dans le graphène en raison de son faible couplage spin-orbite. L’effet de saturation de l’ESR fournit également des informations sur les processus de relaxation spin-spin et spin-réseau. Cette thématique de recherche vise donc à approfondir notre compréhension des phénomènes de recombinaison dépendants du spin dans les hétérostructures à base de matériaux 2D.

Ce thème de physique du solide bénéficie de collaborations nationales et internationales, notamment avec le LNCMI, LPENS, MPQ, CEA LETI (ANR Teaser), IMS, IEMN, (PEPR Electronique) et des universités telles que Wurzburg, Naples, Rice, ou Tohoku. L’équipe collabore également localement avec l’IES-Montpellier spécialiste de la croissance des semi-conducteurs à base d’antimoine, dans des projets tels que l’Equipex+ Hybat, l’ANR franco-allemande Cantor, ou le CPER QuET.