Matière Active
Coordinateurs : Benjamin Guiselin et Juliane U. Klamser
La matière active renvoie à des systèmes composés de nombreuses entités ou particules qui consomment de l’énergie pour générer du mouvement ou fournir un travail mécanique. Ces systèmes évoluent loin de l’équilibre, car à l’échelle microscopique, les particules convertissent continuellement de l’énergie en mouvement dirigé par des mécanismes tels que l’auto-propulsion, l’auto-rotation, ou l’auto-déformation. L’activité des particules et leurs interactions dans des assemblées denses donnent conjointement naissance à des phénomènes collectifs émergents, comme l’auto-organisation, la formation de motifs, ou encore le mouvement collectif.
Il existe une multitude d’exemples de systèmes actifs naturels, allant des moteurs moléculaires à l’intérieur des cellules jusqu’à des organismes entiers comme les bactéries, les insectes ou les poissons. Initialement, l’étude de la matière active visait à mettre en évidence les principes physiques guidant l’auto-organisation des systèmes vivants. Cependant, l’intérêt s’est rapidement étendu aux systèmes synthétiques, tels que les micro-robots ou les colloïdes actifs comme les particules de Janus ou encore les rouleurs de Quincke.
Comprendre les phénomènes collectifs dans la matière active reste un défi de taille en raison de la complexité des systèmes denses combinée au fait que ces systèmes évoluent hors-équilibre. Nos recherches se concentrent sur la compréhension de la manière dont ces comportements collectifs dépendent de paramètres extérieurs (par exemple la densité ou la température) mais aussi de détails microscopiques des particules actives (par exemple leur mécanisme de locomotion). Pour ce faire, nous utilisons les outils de la physique statistique, en ayant recours à des développements analytiques et numériques. Ci-dessous, nous présentons deux exemples illustratifs de nos activités de recherche.
Dynamique des foules humaines :
Les rassemblements de foules denses peuvent amener à des situations dangereuses, et prévoir les mouvements de foules reste un défi majeur. En collaboration avec des chercheurs de l’ENS Lyon, de l’Institut Lumière Matière et de l’Université de Navarre, certains d’entre nous ont analysé la dynamique de milliers d’individus fortement confinés lors de la cérémonie d’ouverture des fêtes de Pampelune, en Espagne. Les observations expérimentales indiquent qu’à haute densité, les foules présentent un mouvement oscillant collectif spontané et auto-entretenu. En combinant les lois de la mécanique avec des principes de symétrie, nous avons développé un modèle prédictif robuste des foules denses inféré de ces expériences, éclairant cette dynamique chirale émergente. Cette étude révèle que l’auto-organisation des foules en oscillateurs macroscopiques découle des forces de friction transverses entre la foule et le sol.
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Écoulements chaotiques dans la matière active dense :
Un défi dans la matière active réside dans le fait que les phénomènes collectifs dépendent souvent des détails microscopiques de la dynamique des particules. Cependant, un mouvement chaotique, analogue à de la turbulence, a été observé dans divers systèmes expérimentaux tels que les suspensions bactériennes ou de spermatozoïdes. Cela nous a amenés à explorer ce phénomène dans des modèles minimaux de particules isotropes auto-propulsées. Ces particules se déplacent dans une direction fixe pendant un temps caractéristique de persistance avant de changer de direction. Nous avons constaté que des écoulements semblables à des écoulements turbulents émergent spontanément en raison d’une compétition entre les forces actives persistantes et la répulsion stérique entre particules à haute densité. Cette étude révèle que bien que la direction d’auto-propulsion de particules voisines ne soit pas corrélée, des écoulements collectifs émergent spontanément.
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