Principes de physique théorique de la matière active et biologique

La physique du génome

Organisation spatiale du génome eucaryote

L’équipe SCPN travaille en collaboration avec le CBS (M. Nollmann), l’IGH (G. Cavalli) et le Département de physique de l’université KU-Leuven (E. Carlon) sur l’organisation spatiale du génome eucaryote afin de comprendre les mécanismes épigénétiques de répression, activation et expression des gênes. Cette activité (basée sur des méthodes numériques et analytiques) comporte tant le développement de techniques avancées d’analyse quantitative des données (e.g. Hi-C et M-Fish) issues de la physique statistique que le développement de nos connaissances en physique de polymères magnétiques comme systèmes modèles pour expliquer le repliement et le dépliement de la fibre de chromatine.

Une partie de cette collaboration s’est dans le cadre du projet « AC-DC », Collaborative PhD Training Network, I-SITE MUSE, U. Montpellier(2020-2023). Ce projet a exploré le rôle des transitions de phase des protéines du complexe Polycomb sur les complexes histones-ADN pour la régulation et l’organisation du génome eucaryote (thèse de L. Remini au L2C, soutenance prévue en 2024). Au-delà de ce projet particulier, ils existent également des implications dans le cadre d’études d’épigénétique quantitative, ainsi que dans le domaine en plein essor de la physique des transitions de phase dans les noyaux cellulaires.

Les progrès récents de la microscopie expérimentale à fluorescence permettent de déterminer avec une grande précision (résolution de 50 nm) l’emplacement physique en 3D de multiples régions marquées du chromosome. Nous avons étudie les données de microscopie publiquement disponibles pour deux loci d’un chromosome humain obtenues à partir de méthodes FISH multiplexées pour différentes lignées cellulaires et différents traitements. Inspirée par les modèles de physique des polymères, notre analyse est basée sur les distributions de distance entre les différentes étiquettes, dans le but de démêler les arrangements conformationnels de la chromatine. Nous avons montré que pour tout site génomique spécifique, il existe (au moins) deux arrangements conformationnels différents de la chromatine, impliquant la coexistence de phases topologiques distinctes (L Remi, et al. 2024). L’identification de ces phases distinctes met en lumière la coexistence de multiples topologies chromatiniennes et permet de mieux comprendre les effets du contexte cellulaire et/ou des traitements sur la structure de la chromatine. Cette étude, qui nous a permis de mieux améliorer notre compréhension de la structure 3D du génome, est en cour d’être approfondie.

Ségrégation active et positionnement du génome bactérien : système ParABS

En 2014, nous avons initié un nouveau projet important en génomique physique qui va continuer avec un nouveau projet ANR (2024), BaDS – Mechanism and Modeling of Bacterial DNA Segregation. Il s’agit de l’étude de la ségrégation active et du positionnement du génome bactérien via le système ParABS, une importante machinerie active de ségrégation de l’ADN chez les procaryotes (bactéries). Le projet a déjà été soutenu par un financement de l’ANR (Imaging and modeling Bacterial Mitosis-IBM), ainsi que par le LabEx NUMEV et le CNRS. Nous collaborons avec l’équipe de J.Y. Bouet et l’équipe de M. Nollmann (biophysique expérimentale et microscopie à super-résolution, CBS, CNRS/INSERM, Montpellier). Nous avons mis au point le premier modèle physique qui décrit l’organisation des « complexes de partition », ParBS, de protéines (ParB) et d’ADN (ParS) impliqués dans la ségrégation active du génome bactérien via l’activité, pilotée par l’hydrolyse de l’ATP, d’une protéine motrice (ParA) au cours de la division cellulaire. Le modèle permet de décrire dans le même cadre physique les données issues des techniques de séquençage à haut débit (Chip-Seq), qui fournissent la distribution de ParB le long de l’ADN, et de la microscopie à super-résolution PALM, qui fournit la conformation spatiale 3D du complexe ParBS. Ces travaux ont conduit à des investigations théoriques complémentaires qui ont initié des collaborations avec les Professeurs C. Broedersz (LMU, Munich, Allemagne) et N. Wingreen (Université de Princeton, USA) et de nouvelles études expérimentales et de modélisation [Debaugny et al. 2018, fait marquant CNRS]. Un modèle incluant des fluctuations conformationnelles du polymère d’ADN combinées à des interactions parB-parB a permis de développer une théorie décrivant les conditions thermodynamiques d’existence des complexes ParBS en termes de transition de phase « liquide-vapeur ». Il est intéressant de noter que ce résultat est basé sur une nouvelle approche variationnelle qui va au-delà de la théorie du champ moyen pour traiter le gaz de réseau 1D à longue portée (thèse L2C de G. David 2019 ; G. David, et al. 2020).

Nous avons aussi modélisé (également pour la première fois) toute la phénoménologie de la ségrégation et du positionnement des complexes de partition ParBS dans les cellules filles via l’ATP-hydrolyse de ParA par une nouvelle classe de modèles de réaction-diffusion. Le couplage des équations de réaction-diffusion sur les protéines ParA avec les équations intégrales du déplacement des complexes de partition ParBS révèle un nouveau mécanisme de translocation active de matière dans un milieu complexe que nous avons appelé « protéophorèse » [Walter et al. 2017].

Organisation spatiale et dynamique du génome

Projet ANR D2OX(2021-2025) «  Distribution and Dynamics of OXPHOS » : En couplant modélisation physique avec les expériences quantitatives en microscopie super-résolutive, spectroscopie de corrélation de fluorescence et de biochimie, l’objectif de ce projet est de comprendre l’organisation des complexes OXPHOS et les phénomènes de transfert de charge ionique entre les protéines par des navettes moléculaires intégrées à la membrane appelées quinones. Nous visons à fournir pour la première fois une description quantitative de la distribution et de la dynamique d’une chaîne entière de transfert d’électrons à l’échelle de la molécule et de la cellule unique en combinant des approches de microscopie à fluorescence de haute résolution spatiale et temporelle avec des approches physiologiques, cinétiques et physico-mathématiques. Collaboration avec A. Magalon (Laboratoire de Chimie Bactérienne, Marseille) et D. Marguet (Centre d’Immunologie de Marseille Luminy, Marseille).

Projet ANR TRANSLAxon (2021-2025) L’objectif de ce projet est de décrypter l’impact de la traduction locale de l’ARNm sur les maladies neuro-dégénératives. Collaboration avec F. Rage et E. Bertrand (Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier, IGMM) et B. Charlot (Institut d’électronique et des systèmes, IES, Montpellier).

Projet IHU IMMUN4CURE (« Institute for innovative immunotherapies in autoimmune diseases »): Les maladies auto-immunes (MAI) touchent 15 millions d’Européens et représentent un important besoin médical non satisfait. Elles sont l’une des 10 premières causes de décès chez les femmes de moins de 65 ans, la deuxième cause de maladie chronique et la première cause de morbidité chez les femmes. En outre, les MAI sont en augmentation, ce qui fait de cette catégorie de maladie mal comprise une crise de santé publique à des niveaux comparables à ceux des maladies cardiaques et du cancer. Nous faisons parti d’un consortium qui propose de s’attaquer aux problèmes urgents liés aux maladies auto-immunes comme le sida afin d’améliorer la santé publique tout en réduisant les dépenses de santé. Notre rôle est de développer la modélisation physico-mathématique (dynamique des populations et physique statistique des réseaux) afin d’aide les biologistes et les médecins à rationaliser les données expérimentales et à fournir par les modèles des scénarios possibles d’évolution spatio-temporelle de la maladie, en relation également avec les différents types d’immunothérapies utilisées. Il sera aussi le contexte pour développer la théorie physique des systèmes immunologiques entendu comme systèmes complexes.

La physique des moteurs moléculaires : le moteur du flagelle bactérien

Le projet ANR BaElMec (2023-2027) projet fait suite au projet ANR Flagmotor qui s’est achevé fin 2023. Ces projets ont comme objectif d’approfondir notre compréhension de la physique remarquable du moteur du flagelle bactérien, un actionneur et senseur biologique à l’échelle nanométrique (collaboration avec F. Pedaci et A. Nord du CBS).

La vie repose sur une lutte continue pour se maintenir hors d’équilibre. Pour ce faire, tous les systèmes vivants consomment et reconstituent en permanence un réservoir d’énergie consistant en une différence de potentiel électrochimique établie à travers des membranes spécialisées lors de la respiration cellulaire. Appelé Proton Motive Force (PMF), un tel potentiel est un paramètre physiquement quantifiable, activement établi pendant le processus de respiration cellulaire, au cours duquel les protons sont activement pompés à l’extérieur de la membrane. À son tour, le PMF est consommé par une variété de processus via des canaux ioniques spécialisés, le principal étant la synthèse d’ATP, commune à toutes les formes de la vie. Chez les bactéries, un autre consommateur majeur de PMF de la cellule est le puissant complexe moteur à l’échelle nanométrique appelé moteur flagellaire bactérien (BFM).

Le moteur, utilisant un flux de protons ou de sodium à travers la membrane via des composants dynamiques spécialisés, fait tourner en continu chaque flagelle de la cellule, produisant des vitesses de centaines de Hz. Ce système mécanique exceptionnel propulse la bactérie dans le liquide et est responsable de la motilité cellulaire et de la chimiotaxie (la capacité des bactéries à se déplacer activement en suivant des gradients bénéfiques de nutriments dans leur environnement). Alors que de nombreux détails statiques structurels ont été dévoilés pour les complexes protéiques composant le moteur flagellaire et ceux produisant le PMF (la source d’énergie du moteur), plusieurs aspects du comportement dynamique des deux ne sont toujours pas élucidés et nécessitent une approche physique de l’étude de la dynamique et de la mécanique à l’échelle nanométrique. L’objectif de notre projet est de dévoiler les propriétés électromécaniques qui couplent le moteur flagellaire à la force motrice du proton chez les bactéries.

Dans le cadre de ces projets l’objectif est de développer des méthodes des processus stochastiques adaptées aux systèmes de petite taille afin d’exploiter des fluctuations du système pour mieux caractériser la dynamique du moteur flagellaire bactérien (l’angle de rotation du moteur en tant que variable dynamique, ainsi que la cinétique de l’occupation du moteurs par les stators, la source du torque).

Nous avons déjà obtenu des résultats intéressants dans le cadre du projet ANR Flagmotor. En perturbant activement la stœchiométrie du stator à l’état d’équilibre des moteurs individuels, nous avons révélé puis étudié une asymétrie dépendante de la stœchiométrie dans la cinétique de réponse du stator. Nous avons simulé et ajusté des modèles qui permettent de rendre compte de l’asymétrie. Il s’avère que la dynamique de l’assemblage est particulièrement bien décrite par un mécanisme «catch-bond » à deux états (R. Perez-Carrasco Ruben, et al. 2022). Nous avons également développé une description grand-canonique générale d’un gaz sur réseau unidimensionnel (1D) de taille finie avec des interactions entre les plus proches voisins comme exemples prototypiques de processus d’adsorption influencés par la coopérativité (M-J Franco-Oñate, et al., preprint 2024).