Transport unidirectionnel de particules avec exclusion – modélisation de la traduction de l’ARNm par des ribosomes
Le processus d’exclusion simple totalement asymétrique (TASEP) est un modèle de transport unidirectionnel de particules avec exclusion sur un réseau 1D. Il a des applications intéressantes dans le trafic routier, certaines files d’attente, le transport dirigé de particules dans des canaux et bien d’autres encore. On peut le ré-exprimer en termes de modèles de croissance d’interfaces ce qui permet d’interpréter ses résultats d’une manière alternative. Introduit originalement dans le contexte de la cinétique de biopolymérisation, il est devenu depuis un paradigme dans les modèles de transport en biologie, notamment pour modéliser la traduction de l’ARNm par des ribosomes. C’est pourquoi notre équipe étudie actuellement certaines facettes de ce modèle de transport très riche.
Traduction de l’ARN messager par les ribosomes
Notre expérience en physique statistique des systèmes ADN-protéines combinée à notre expertise en transport actif le long des filaments (par ex., le transport des ribosomes décrit par le modèle TASEP) a permis à l’équipe d’initier un nouveau projet “GEM-Gene Expression Modeling“ en 2017. GEM représente une collaboration complètement nouvelle née dans la communauté NUMEV (épaulée par un projet NUMEV Flagship ainsi que par le MENSR et le CNRS avec deux bourses de thèse) qui rassemble des biologistes (IGMM et IGH, Montpellier), des bio-informaticiens (LIRMM, Montpellier) et des physiciens théoriciens (équipe SCPN, L2C) dans le but de construire des modèles physiques de l’expression des gènes.
Avec la transcription de l’ADN, la traduction de l’ARN messager par les ribosomes est l’une des deux étapes clés de l’expression des gènes. Pour déterminer les différents taux cinétiques intervenant durant la traduction (c’est-à-dire les taux de progression des ribosomes le long de l’ARNm, qui dépendent du codon qu’ils lisent), on utilise généralement les données de séquençage des ribosomes (Ribo-Seq) qui donnent le profil de densité global des ribosomes (profil des polysomes) le long de l’ARNm. Toutefois, en raison du manque de données expérimentales indépendantes fournies par ces profils, la détermination de l’ensemble des taux cinétiques est impossile. D’autre part, il faut prendre en compte le taux de dégradation de l’ARNm car il impacte les profils de densité. En utilisant un modèle de transport balistique pour des ribosomes qui entrent avec une statistique poissonienne sur un ARNm de durée de vie finie, nous avons pu déterminer l’impact de la dégradation de l’ARNm sur les profils de densité. Allant au delà des approches précédentes, notre modèle montre l’importance de trier la population des ARNm en fonction du nombre de ribosomes qu’ils portent au moment du séquençage. Ces k-somes (ARNm portant k ribosomes) ont en effet des profils de densité qui sont d’autant plus sensibles à la dégradation de l’ARNm que k est petit, comme cela est prédit par notre modèle et également révélé pour la première fois par l’analyse d’un jeu de données Ribo-Seq obtenu à partir d’un histone humain. En utilisant notre modèle, nous avons montré que combiner les données des densités de polysomes et monosomes (k=1) offre une méthode fiable de détermination des taux cinétiques même si la solution de ce problème inverse s’avère particulièrement ardue. [C. Chevalier et al., 2023]
Processus d’exclusion simple totalement asymétrique (TASEP)
Dans un premier projet, nous nous sommes posé la question du temps que des particules mettent pour quitter un réseau sur lequel elles sont transportées par un modèle TASEP. Plus précisément, si N particules sont initialement situées sur les premiers sites d’un réseau de L sites, nous cherchons le temps qu’elles mettent pour sortir toutes de ce réseau. Cette étude a été menée en collaboration avec E. Pitard de l’équipe STAT du L2C. Nous avons montré que si N << L, le temps moyen de sortie des particules est asymptotiquement donné par TN (L) ∼ L + βN √L lorsque L est grand. En utilisant des résultats exacts obtenus pour 2 particules, nous avons construit un modèle approché continu en temps et en espace du mouvement aléatoire des particules qui nous a permis d’obtenir une relation de récurrence. Ces résultats sont en excellent accord avec les valeurs numériques obtenues par simulation mais aussi avec les résultats exacts obtenus pour N=2 et N=3 via un lien entre ce problème et la détermination de l’espérance de la valeur propre maximale de certaines matrices aléatoires de type GUE [J. Dorignac, F. Geniet and E. Pitard, 2024].
Nous nous intéressons aussi à un modèle de “réalisation physique” de la version champ-moyen du TASEP où les occupations de site deviennent indépendantes. Nous avons réalisé qu’un ensemble de réseaux TASEP 1D tous couplés les uns aux autres permet de réaliser physiquement un TASEP champ-moyen.
L’équipe SCPN, en collaboration avec Y. Ibrahim (Umaru Musa Yar’adua University, Nigeria) et C. Chevalier (Universität des Saarlandes, Allemagne) étudie également l’effet d’un désordre gelé sur une chaîne de durée de vie finie où les particules se déplacent selon le modèle TASEP. La solution exacte de l’équation maîtresse du TASEP est inaccessible que ce soit analytiquement ou numériquement pour des paramètres biologiquement pertinents. Nous étudions donc une approche alternative où les distributions de probabilité sont factorisées de manière approximative en utilisant la solution exacte de petits systèmes. Cette méthode permet d’obtenir des résultats précis sur les profils de densité des particules (Y. Ibrahim, et al., preprint 2024)