Mécanismes d’aérosolisation de la salive par la parole
Tristan XABADA
La rupture de filaments liquides joue un rôle essentiel dans les procédés industriels (impression jet d’encre, pulvérisation) et les contextes biomédicaux, notamment dans la transmission aérienne de pathogènes via les gouttelettes de salive générées lors de la toux, des éternuements ou de la parole. Ces gouttelettes transportent des virus et représentent un vecteur majeur de propagation des maladies. Pour évaluer ce risque, il faut comprendre comment ces gouttelettes se forment, à partir de la déformation et de la rupture de fins filaments de salive étirés entre les lèvres puis rompus sous l’action de l’air expiré. Cette thèse étudie la dynamique de filaments liquides soumis à un étirement uniaxial, qui s’amincissent puis se rompent sous l’influence combinée des forces visqueuses, inertielles et capillaires, ainsi que d’un flux d’air perpendiculaire contrôlé. Un dispositif expérimental original a été développé pour reproduire des extensions rapides en laboratoire. Il a permis d’analyser l’amincissement de filaments newtoniens (mélanges eau–glycérol) et l’effet du flux d’air. La forme des filaments soumis à un flux d’air perpendiculaire a été étudiée en utilisant une approximation quasi-statique (négligeant l’inertie), avec deux modèles : la friction visqueuse (« slender body », bas nombres de Reynolds) et la traînée aérodynamique (modèle de Taylor, grands nombres de Reynolds). Ces modèles ont permis d’ajuster les formes expérimentales et de déduire la tension interne dans les filaments, qui est ensuite comparée aux prédictions théoriques. Des simulations numériques ont validé ce cadre quasi-statique, permettant d’identifier le modèle le plus pertinent et d’obtenir un outil quantitatif pour analyser le comportement des filaments. Cette approche a été étendue à des fluides viscoélastiques, notamment la salive humaine, montrant que leurs géométries pouvaient être caractérisées quantitativement. Ces mesures ont permis de définir un nombre d’Ohnesorge effectif pour la salive, facilitant la comparaison avec des fluides newtoniens. La seconde partie du travail porte sur le type de rupture des filaments et leur fragmentation en gouttelettes selon la viscosité, le volume initial et la vitesse du flux d’air. Il a été montré que l’air peut accélérer ou retarder la rupture, et modifier le mécanisme de fragmentation. Des fluides viscoélastiques modèles (micelles géantes) et la salive ont été étudiés pour mettre en évidence l’effet de l’élasticité. Ces expériences révèlent des comportements inédits, tels que des durées de vie prolongées et l’apparition d’instabilités spécifiques le long des filaments. Les principaux résultats sont : (i) le modèle quasi-statique décrit correctement la phase de déformation pure, mais devient invalide lorsque le drainage et l’inertie dominent ; (ii) la viscosité stabilise fortement les filaments aux faibles nombres d’Ohnesorge, tandis que l’inertie de l’air favorise la déformation et modifie les régimes de rupture ; (iii) l’élasticité de la salive permet des étirements extrêmes et retarde la rupture. Certaines limites subsistent : l’étude repose principalement sur le glycérol comme fluide modèle, avec peu d’expériences sur la salive et les micelles, et sans quantification systématique du nombre ni de la taille des gouttelettes émises. Néanmoins, ces résultats ouvrent la voie à une compréhension plus globale de l’atomisation des fluides biologiques complexes, reliant les observations en laboratoire à la fragmentation des filaments de salive sur les lèvres.